Une recherche infructueuse de viabilité dans le désert de l'Arizona

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L'accord gouvernemental De Wever-Bouchez promet aux travailleurs plus de sécurité et un meilleur équilibre entre travail et vie privée. Mais en y regardant de plus près, ces belles paroles ne sont qu’un mirage. De Wever et Bouchez veulent que tout le monde travaille de manière plus flexible, plus longtemps et de façon plus irrégulière. 

Cet article de Raf De Weerdt et Lander Vander Linden est paru en néerlandais dans DeWereldMorgen. En voici la traduction.

Il leur a fallu sept longs mois pour conclure un accord gouvernemental, ces négociateurs de l'Arizona. Avec des selfies héroïques sur des lits de camp, ils ont voulu faire croire qu'ils traversaient un enfer. Mais c'est en réalité le travailleur qui va désormais entamer une traversée du désert : l'accord Arizona démantèle la protection sociale construite au cours des 80 dernières années grâce à la lutte sociale. Le chapitre "marché du travail" semble être un simple copier-coller du programme électoral libéral et de droite du MR et de la N-VA, prônant la "liberté sans contraintes" et une logique de "travaillez jusqu'à l'épuisement".

Suppression des obligations

Dans l'accord gouvernemental, sous la rubrique « modernisation du droit du travail », on peut lire que "l'obligation d'une durée minimale de travail hebdomadaire correspondant à au moins un tiers d’un horaire complet est supprimée".

Supprimer les obligations, ça semble sympathique : moins de contraintes, c'est mieux ! Cela pourrait presque être une citation d'Elon Musk.

Autre mesure réjouissante : "Nous supprimons l'obligation d'inclure tous les horaires de travail applicables dans le règlement de travail, à condition que les limites de la flexibilité y soient clairement définies."

Encore une obligation de moins ! Mais que cela signifie-t-il en pratique ?

Imaginez : vous sortez de l’école et trouvez immédiatement un emploi. Super ! Jusqu'à ce que vous regardiez les détails de votre contrat à temps partiel : 8 heures de travail par semaine. Huit. Vous devez donc chercher un deuxième, voire un troisième job pour joindre les deux bouts. Mais cette recherche est compliquée. Pourquoi ? Parce que d'autres employeurs potentiels veulent savoir quels jours vous êtes disponible, et vous ne pouvez pas répondre. En effet, dans le règlement de travail, la "claire définition des limites de la flexibilité" indique simplement que le travail peut être réparti entre le lundi et le vendredi, de 8h à 17h. Résultat ? Vos 8 heures peuvent tomber le lundi une semaine, le jeudi la suivante, puis être éparpillées sur le mardi et le vendredi…

Ces "modernisations" contribuent-elles vraiment à la sécurité et à la viabilité du travail ?

Préavis raccourci

Autre mesure : "Il sera désormais possible pour les deux parties de mettre fin au contrat de travail avec un préavis d’une semaine au cours des six premiers mois du contrat."

Nouvelles possibilités ? Cela semble positif. Une contrainte en moins ? Super ! Mais en pratique ?

Reprenons le cas de notre jeune diplômé. Vous jonglez maintenant entre trois petits boulots, mais vous pensez avoir trouvé un équilibre. Après tout, vous travaillez depuis cinq mois pour le même employeur, sans jamais avoir reçu de critique négative. Vous décidez donc de prendre un appartement en location. Puis, soudainement, on vous annonce la rupture de votre contrat après 24 semaines de travail. Pas le temps de réfléchir ni de vous retourner, votre préavis est d’une semaine. Dans sept jours, un tiers de vos revenus disparaît.

Ces "modernisations" contribuent-elles vraiment à la sécurité et à la viabilité du travail ?

Horaires "accordéon" et annualisation du temps de travail

Encore une mesure : "Un nouveau cadre légal sera introduit avant le 30/06/2025 pour permettre l’annualisation du temps de travail ou des horaires ‘accordéon’ pour les emplois à temps partiel et à temps plein."

Annualisation, ce n’est pas évident à comprendre et "accordéon", c'est vrai que ça sonne plutôt bien. Mais qu’est-ce que ça veut dire en pratique ?

Imaginez : vous avez un contrat de 32 heures par semaine. Mais, sans crier gare, votre employeur vous impose de travailler 50 heures par semaine pendant trois mois d’affilée. Pour ces 18 heures supplémentaires, aucune prime ne vous est versée. Comment est-ce possible ? Parce que le reste de l'année, votre employeur vous fera travailler seulement 26 heures par semaine. À la fin de l'année, vous aurez "officiellement" travaillé 32 heures par semaine. Mais votre vie sociale, elle, en aura pris un coup : adieu loisirs et amis.

Autre exemple : vous avez un contrat à temps plein de 38 heures par semaine. Bravo, vous avez décroché le contrat le plus stable possible ! Vous avez une vie bien remplie, vous êtes engagé dans des associations.

Mais peu à peu, votre employeur vous impose de dépasser les 38 heures. Vous vous retrouvez à travailler 50 heures par semaine pendant trois semaines, puis seulement 20 heures les deux suivantes, puis à nouveau 38 heures, avant de remonter à 50 heures. Vous ne pouvez plus rien prévoir en soirée et devez abandonner vos engagements associatifs et vos loisirs. Cerise sur le gâteau : aucune prime ne vous est versée pour ces heures supplémentaires.

Ces "modernisations" contribuent-elles vraiment à la sécurité et à la viabilité du travail ?

"Heures supplémentaires volontaires"

Autre mesure de l’accord : "Nous introduisons un système attractif de 360 heures supplémentaires volontaires sans motif, ou un repos compensatoire, qui est applicable sur le plan du droit du travail dans tous les secteurs."

Un système "attractif" : qui pourrait refuser ça ? Peut-être celui qui voit ce que cela donne en pratique ?

Un de vos collègues doit s’occuper de ses parents âgés et décide donc de passer à un contrat de 32 heures pour pouvoir les aider. Son employeur lui impose pourtant de prester jusqu’à 42 heures par semaine. Ces "heures supplémentaires volontaires", c'est soit il les accepte, soit il perd son emploi. Et bien sûr, ces heures ne sont pas majorées. Résultat ? Il se retrouve à négliger ses parents, ce qui lui pèse énormément.

Ces "modernisations" contribuent-elles vraiment à la sécurité et à la viabilité du travail ?

L'interim à durée indéterminée

L'accord De Wever-Bouchez regorge de telles mesures de flexibilité. En voici une autre : "Mise en place du travail intérimaire à durée indéterminée."

Se retrousser les manches, mettre les choses en pratique ! Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ?

Vous ne trouvez pas immédiatement un CDI et vous inscrivez dans une agence d’intérim. Vous espérez que cela vous mènera vers un emploi stable. Bonne nouvelle, on vous propose un contrat à durée indéterminée... mais en intérim ! Vous voilà coincé indéfiniment dans un statut précaire.

Ces "modernisations" contribuent-elles vraiment à la sécurité et à la viabilité du travail ?

Envoyés dans le désert

Tous ces exemples, issus de la réalité, montrent qu’il est illusoire de chercher sécurité et conditions de travail viables dans le désert de l’Arizona. Et encore, nous n’avons pas évoqué la limitation dans le temps des allocations de chômage.

Dans un accord gouvernemental, il est facile de rendre les choses plus belles qu’elles ne le sont. Mais la réalité quotidienne, les travailleurs la connaissent bien. Et nous, en tant que syndicat, nous la connaissons aussi. Des horaires atypiques et imprévisibles ont des conséquences négatives sur la santé, l’équilibre entre vie privée et travail, et les relations sociales et familiales. Lorsqu’un travailleur se retrouve seul face à son employeur, il subit une flexibilité sans limites ni garanties.

Le gouvernement De Wever-Bouchez envoie les travailleurs dans le désert. Mais en tant que syndicat, nous ne vous abandonnerons pas, quelle que soit la rudesse du voyage.

 

Raf De Weerdt (federaal secretaris ABVV) & Lander Vander Linden (adviseur studiedienst ABVV)