Dissoudre une association sur décision du gouvernement ? Notre liberté d’association est menacée
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La coalition droit de protester* dont la FGTB est membre a publié une carte blanche dans les journaux Le Soir et De morgen.
L’avant-projet de loi du ministre Bernard Quintin prévoit une procédure accélérée de dissolution administrative d’une association et d’un groupement de fait. Les signataires considèrent que les mesures proposées constituent des ingérences importantes dans la liberté d’association ainsi que dans la liberté d’expression
L’avant-projet de loi du ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, Bernard Quintin, prévoit une procédure accélérée de dissolution administrative d’une association et d’un groupement de fait. Le gouvernement s’apprête ainsi à ouvrir une brèche inquiétante dans la liberté d’association, protégée par la Constitution et qui a donné naissance à un riche terreau associatif.
Derrière des mots rassurants – « sécurité nationale », « ordre démocratique », « prévention du radicalisme » – se cache un texte qui pourrait autoriser le pouvoir exécutif à dissoudre, interdire ou geler les biens d’associations, ou de simples collectifs, sans passer par la Justice.
Selon cet avant-projet de loi, le ministre de l’Intérieur pourrait proposer la dissolution d’une association au Conseil des ministres sur base de rapports issus des services de sécurité. Des sanctions assez lourdes seraient par ailleurs prévues, allant de la dissolution complète des organisations à des sanctions pénales pour des individus. Ainsi, une personne qui se rendrait à une activité d’une association dissoute risquerait de six mois à trois ans de prison.
L’Institut fédéral des droits humains (IFDH) tire également la sonnette d’alarme, considérant que les mesures proposées constituent des « ingérences importantes dans la liberté d’association ainsi que dans la liberté d’expression. (…) Toute ingérence (…) doit répondre à trois critères : être prévue par la loi (critère de légalité), avoir un but légitime (critère de légitimité), et être nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but recherché (critère de proportionnalité) ». Or, comme le souligne l’IFDH, l’avant-projet pose de sérieux problèmes en matière de légalité et de proportionnalité.
Des termes plus que flous
Les termes repris dans l’avant-projet de loi – comme « radicalisme » et « détournement » – sont extrêmement flous et n’ont pas de base légale claire, laissant la place à une interprétation trop large aux acteurs qui appliqueront la loi.
Ensuite, le projet de loi prévoit de dissoudre des groupements de fait, qui, par nature, n’ont pas d’existence légale. Comment dissoudre quelque chose qui n’existe pas juridiquement ? La réponse est tellement vague que « l’avant-projet de loi pourrait permettre la création progressive d’une liste de termes et slogans dont l’utilisation serait interdite pour l’ensemble de la population. »
Si le texte a voulu exclure une série d’organisations du champ d’application de la loi (partis politiques, syndicats, cultes, organisations « dont l’objet réel est exclusivement d’ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique ou religieux »), une fois encore, de nombreux termes restent flous. Par exemple, il est nécessaire d’être un parti politique reconnu… mais qu’est-ce qu’un parti reconnu ? De même, il est prévu que la loi s’applique si la finalité de l’association est détournée de son objet initial. Mais qui déterminera que la finalité d’Amnesty International, des syndicats, de Greenpeace est détournée ?
Le droit à la défense et au procès équitable balayés
Autre motif de préoccupation : l’avant-projet confère un pouvoir exorbitant à l’exécutif, au travers d’une procédure expéditive, sans véritable garantie du droit à la défense ni du respect du droit à un procès équitable. Une simple audition serait prévue avec un·e fonctionnaire, sans certitude qu’un·e avocat·e puisse y assister. En outre, le rapport produit par le Comité de coordination du renseignement et de la sécurité, sur lequel se baserait la décision, serait déterminant – mais l’organisation visée n’y aurait pas forcément accès.
Rappelons que la dissolution d’une association est l’une des restrictions les plus sévères du droit à la liberté d’association. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné que la dissolution d’une association ne devait être possible qu’en cas de danger manifeste et imminent résultant d’une violation flagrante de la législation nationale, conformément au droit international relatif aux droits humains. Il a également indiqué que toute dissolution devrait être prononcée par un tribunal.
Lorsque l’on sait que la Justice dispose déjà des moyens de remplir les objectifs du projet de loi en visant les individus ayant commis des actes illégaux – sans recourir à une interdiction d’association –, une question s’impose : pourquoi une telle procédure serait-elle confiée au gouvernement ? La lenteur de la Justice invoquée par le ministre ne peut justifier l’octroi d’un tel pouvoir au gouvernement, qui constituerait un glissement dangereux du pouvoir judiciaire vers l’exécutif.
Nos droits fondamentaux en danger
Dans ses déclarations au Parlement, le ministre Quintin a mis en avant les exemples des pays voisins. Loin de nous rassurer, la pratique de la dissolution administrative en France a par exemple montré tous les risques inhérents à ce type de loi. Ainsi, la dissolution des « Soulèvements de la Terre » est un exemple particulièrement parlant de violation du droit international et d’atteinte à la liberté d’expression. Au Royaume-Uni, on a vu à quelle vitesse une telle décision peut déraper : plus de 2.000 manifestant·es pacifiques ont déjà été arrêté·es pour avoir protesté contre l’interdiction de « Palestine Action ».
Le contexte international devrait également nous alerter : de nombreux régimes autoritaires interdisent les associations et syndicats au nom de la sécurité. Ailleurs, les libertés d’association et d’expression sont sous pression. La vigilance doit être de mise : nos autorités ne devraient pas voter un projet de loi qui est contraire au droit international et aux droits humains. Dissoudre une association ne peut jamais relever d’un ministre. La loi Quintin n’est pas un outil de sécurité : c’est une brèche ouverte dans un droit essentiel qui pourrait demain engloutir toutes les voix qui dérangent.
*La coalition « Droit de protester » est composée de nombreuses organisations, telles qu’Amnesty International Belgique, la Ligue des droits humains, Liga voor Mensenrechten, Greenpeace, MOC, PAC, Cepag, Beweging et les trois organisations syndicales (FGTB, CSC, CGSLB).