Réforme des congés familiaux : un lourd “sac à dos” sur les épaules des femmes

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Vive les vacances ! Enfin, on va lâcher prise. “L’été sera chaud”... Et encore plus pour les parents, qui vont devoir résoudre le terrible casse-tête des séjours, gardes et autres stages pendant les sept à neuf semaines de congés scolaires ! Comme chaque année, les statistiques de l’ONEM concernant les congés parentaux bondiront aux mois de juillet et d’août.    

Le gouvernement Arizona, soucieux d’harmoniser ces précieux congés familiaux et de soutenir la conciliation vie familiale/vie professionnelle, concocte la réforme dite “sac à dos”. Son principe ? Proposer un “sac à dos de congés” par enfant (regroupant congés de maternité, congés de paternité / de naissance, congés parentaux, crédits-temps), à partager entre parents, co-parent∙es et, nouveauté, grands-parents. Cette proposition, présentée comme s’inspirant des modèles scandinaves, poursuit la volonté d’encourager une répartition plus égalitaire entre les parents. Malgré ces excellentes intentions, il est essentiel de confronter les ambitions à la réalité. En effet, cette  réforme reste aveugle aux besoins réels de nombreuses familles. Si elle ne tient pas compte de nos alertes, elle risque bien de produire l'exact inverse de ses objectifs affichés : aggraver les inégalités de genre.  

Une fausse bonne idée  

Cette réforme induit un changement de paradigme inédit sur lequel il convient de s’attarder. Pour rappel, les congés parentaux et autres congés dits “thématiques” sont d’abord et avant tout des droits des travailleurs et travailleuses pour leur permettre de concilier les exigences de leur vie professionnelle et les besoins de soins et d’accompagnement de leur(s) enfant(s) ou de proches vulnérables. Soudainement, ces congés ne seraient plus liés aux travailleur∙euses mais bien à l’enfant qui ainsi “ouvrirait” des droits non seulement à ses parents, mais également à ses grands-parents, voire à ses beaux-parents.  

De prime abord, l’idée peut sembler séduisante. À la complexité du système actuel, le gouvernement oppose une solution facile et lisible : rassembler tous les congés dans un même sac, pour y puiser en fonction des besoins, jusqu’à vider ledit sac. Pourtant, à bien y regarder, cette proposition nous apparaît au mieux comme une fausse bonne idée, au pire comme une atteinte aux droits des travailleur∙euses en général et aux droits des femmes en particulier.   

Le premier risque sur lequel nous alertons concerne une réduction de la durée du congé de maternité – si tant est que l’on puisse qualifier cette période de “congé”. Placer le congé de maternité dans un “pot commun” et permettre aux mères de transférer une partie de ce temps à leur conjoint∙e porterait atteinte à la santé des mères en post-partum. Pour rappel, avec un repos de maternité de 15 semaines – et même de 12 semaines pour les indépendantes ! -  la Belgique se situe parmi les plus mauvais élèves européens. Il serait tout à fait inacceptable que la lutte pour plus d’égalité se fasse au détriment de la protection des mères.  

Les mères, doublement perdantes

Le second risque que nous identifions avec ce projet “sac à dos”, est celui d’une « double peine » pour les mères. En effet, les expériences menées dans différents pays révèlent que la transférabilité des congés, loin de favoriser une juste répartition, creuse au contraire les écarts de genre. Face à ce constat, des pays qui ont testé ce système, tels que la Suède ou la Finlande, sont en train de revoir leur copie.  À l’inverse, en Espagne, où le congé de paternité est en partie obligatoire, équivalent en durée au congé de maternité, et rémunéré à 100%, on observe une quasi égalité dans la répartition des soins portés aux enfants. 

Améliorer les congés pour les pères et co∙parents et le rendre en partie obligatoire : voilà des mesures qui ont un réel impact positif. Sans cela, les mères reprennent une grande partie des congés initialement réservés au père ou co-parent∙e. Avec des impacts désastreux sur leur participation au marché du travail, sur leurs revenus et sur leur pension. 

Un nouvel instrument de violences conjugales ?

Dans un système qui autoriserait le transfert des congés, les pères qui souhaiteraient diminuer un peu leur temps de travail pour s’occuper de leur(s) enfant(s) ne risquent-ils pas d’être mal reçus par leur employeur, qui préférerait les voir “déléguer” cette responsabilité à la mère, grand-mère, belle-mère ?    

Quant aux familles monoparentales, de plus en plus nombreuses, et composées à plus de 80% de mères seules, elles pourraient bénéficier de l’entièreté du « sac à dos ». Nous saluons cette prise en considération, tout en nous inquiétant du flou qui demeure autour d’une indemnité majorée, alors que ces parents sont déjà plus précarisés et ont plus de difficultés à se maintenir sur le marché de l’emploi.

Enfin, si l’on réfléchit à la mise en pratique d’une telle réforme, ce qui est présenté comme une “simplification” du système devient un véritable casse-tête pour les familles, tenues de s’accorder sur la répartition du “sac à dos”. Que dire alors des situations de séparation déjà conflictuelle entre parents, et, pire encore, des cas de violences conjugales et intrafamiliales ? Ce fameux “sac à dos” deviendrait alors un nouvel instrument de violences post-séparation. La justice devra-t-elle à l’avenir traiter de nouveaux types de litiges familiaux liés aux congés parentaux ?  

L’élément le plus déterminant : une meilleure indemnisation des congés 

Nous, associations de défense des droits des femmes et des familles, appelons formellement le gouvernement à maintenir le caractère individuel des congés parentaux – sans transfert possible – et à garantir la protection du repos de maternité en le rendant accessible à toutes les mères, quel que soit leur statut professionnel. Pour favoriser une meilleure répartition des congés parentaux et inciter davantage d’hommes à les utiliser, le critère le plus déterminant reste le montant de l’allocation. Nous soutiendrons toute réforme visant à améliorer la durée et le niveau d’indemnisation des congés parentaux, et à les rendre plus accessibles à tou∙tes les travailleur∙euses. 

Enfin, il est urgent de renforcer et de revaloriser des services financièrement accessibles et de qualité qui répondent véritablement aux besoins des familles (accueil de l’enfance, garde à domicile, etc.). Un crédit familial ne peut pas être utilisé comme une solution individuelle pour compenser les manquements des services publics et collectifs.  

Dans nos associations, nous plaidons chaque jour pour une société plus égalitaire, dans laquelle les politiques familiales favorisent l’émancipation de toutes et tous. Nous appelons les responsables politiques à prendre en compte nos inquiétudes : la lutte contre les inégalités de genre et la prise en compte des réalités diverses des familles doivent rester des boussoles lors de l’élaboration concrète des mesures.

Organisations initiatrices de la carte blanche

  • Femmes CSC – ACV Gender
  • FGTB-ABVV
  • Furia
  • La Ligue des familles
  • Soralia
  • Vie Féminine

Signataires

  • Collectief 8 maars
  • Commission Femmes CEPAG (FGTB Wallonne)
  • Des Mères Veilleuses
  • Ella  
  • Fédération des Services Maternels et Infantiles (FSMI)
  • Fédération Laïque des centres de planning familial
  • Mode d’Emploi asbl
  • SOPHIA - Réseau belge des études de genre - Belgisch netwerk voor gender studies
  • UCLouvain - GREG - groupe de recherche en Etudes de Genre
  • Vrouwenraad
  • Zij Kant