La marge salariale liquidée à la suite du chipotage dans la nouvelle loi salariale

22 janvier 2018
Presse

Aujourd’hui, le Conseil central de l’économie a publié les chiffres relatifs à l’évolution salariale en Belgique et dans les pays voisins. Ce que les syndicats craignaient lors de l’imposition de la loi salariale en 2017 est maintenant confirmé. Il existe bel et bien une marge pour une augmentation salariale. Mais avec les manipulations de la loi salariale orchestrée par ce gouvernement, cette marge est délibérément annihilée.

L’euphorie des partis de la coalition par rapport à la croissance économique est chaque jour un peu plus grande. Le rapport du CCE fait apparaitre qu’en 2016, les bénéfices des entreprises atteignaient 35 milliards (après impôts). Mais pour les citoyens qui travaillent dur, il ne reste rien !

Pour 2016, le coût salarial horaire dans les pays voisins a augmenté de 0,4% plus vite que ce qui avait été prévu fin de l’an dernier. En Belgique, celui-ci a diminué de 0,4% plus vite que prévu. Cette diminution est la conséquence des réductions de cotisations patronales induites par le tax-shift. La nouvelle loi salariale restrictive interdit cependant d’en tenir compte. L’effet de cette mesure est littéralement rendu “invisible”. De ce fait, on ne “voit” qu’une légère diminution du coût salarial horaire belge de 0.1% en 2016. Un nouveau calcul de l’évolution du coût salarial en France fait le reste.

Tout cela entraîne un léger handicap salarial de 0.6% en 2016. Cet « handicap officiel des coûts salariaux” tombe à 0,3% en 2017, mais se situe finalement à 0.6% en 2018. Les manipulations intégrées dans la nouvelle loi salariale produisent leur effet.

Mais qu’en est-il si l’on prend l’évolution réelle du coût salarial horaire et que l’on tient donc compte de façon correcte du tax-shift patronal ? Dans ce cas, le handicap salarial de 2016 semble effacé. Et en 2018, notre pays présente alors une avance en matière de coût salarial de 1%.

Et si l’on tient compte des 4,1 milliards de subsides salariaux pour les secteurs marchands du privé ? En Belgique, ceux-ci sont nettement plus élevés que dans les pays voisins. Dans ce cas, notre avance en matière de coût salarial passe même à 2.9 %.

La compétitivité de la Belgique ne dépend d’ailleurs pas uniquement des coûts salariaux. Le coût de l’énergie, la faible concurrence par les prix pour des services comme les télécom, l’accountancy ou la consultancy, la mobilité et la stabilité politique sont des éléments tout aussi cruciaux. Mais le gouvernement y porte moins d’attention.

Outre la question de l’écart salarial, le rapport technique du CCE aborde une série d’autres questions qui ne peuvent être ignorées.

Vision globale des interlocuteurs sociaux

  • Les grands défis sociétaux contemporains (tels que la mondialisation, la transformation technologique, la raréfaction des richesses naturelles, les changements climatiques, ou encore le vieillissement, …) entraînent des transitions.
  • Ces transitions ont un impact sur notre tissu économique, sur l’emploi et sur les inégalités. Nous devons veiller à ce que ces transitions soient une opportunité pour toutes et tous et à ce qu’elles assurent une prospérité pour tous.
  • Un niveau élevé de prospérité ne peut être durablement atteint que moyennant une grande cohésion sociale. Les éléments déterminants dans cette cohésion sociale sont les suivants : participation au marché du travail (non-discrimination); sécurité sur le marché du travail (pas seulement la création d’emplois, également la qualité des emplois) ; protection sociale effective; accès aux services de base; accès à un enseignement et à une formation de qualité
  • Le niveau de prospérité est également déterminé par les éléments suivants:
    • La mesure dans laquelle de la richesse est créée et comment elle est redistribuée
    • Une politique environnementale durable
    • Des finances publiques saines et une balance commerciale en équilibre
  • Les 4 éléments (cohésion sociale, création de richesse, durabilité financière et politique environnementale durable) sont liés. L’un influence l’autre : ainsi, la compétitivité ne peut jamais être vue indépendamment des effets sur la cohésion sociale et sur les inégalités.

Constats:

  • En ce qui concerne les inégalités, globalement nous nous positionnons plutôt bien, mais il y a surtout des inégalités entre les revenus les plus bas/les fortunes et la médiane. Conséquence : un risque élevé de pauvreté dans les classes de revenus inférieures. On peut donc se demander si nos allocations sont suffisamment élevées. En outre, il apparait clairement que l’inégalité de revenus en Belgique reste supérieure à l’inégalité de richesse. Il est donc nécessaire d’instaurer une justice fiscale.
  • Notre taux d’emploi est bas par rapport à nos pays voisins et il est inégalement réparti : les groupes à risques surtout restent à la traîne. Quelles en sont les causes ?
    • Formation : au lieu de réduire les inégalités, notre enseignement est devenu un moteur d’inégalités ! Au niveau de la formation continue, nous sommes nettement en-deçà de la moyenne de l’UE. Pas de grande avancée pour ce qui est des efforts de formation au niveau des entreprises.
    • L’augmentation des contrats de travail temporaires ou à temps partiel augmente l’insécurité d’emploi chez les jeunes et les peu qualifiés.
  • La croissance de notre productivité stagne. A ce niveau, il devient urgent de faire des efforts – efforts également à fournir par les pouvoirs publics. Les interlocuteurs sociaux continuent à étudier quels facteurs jouent un rôle crucial à ce sujet, mais leur constat est que la formation, les investissements publics, l’entreprenariat dynamique et de lourds efforts en matière d’innovation sont nécessaires.
  • La durabilité de nos finances publiques: détérioration par rapport à l’an dernier. Les réformes sur le marché de l’emploi et dans la fiscalité doivent se faire dans un cadre budgétairement neutre, ce qui n’est pas le cas avec l’actuel gouvernement, notamment avec la mesure du tax-shift. 
  • Investissements: les investissements publics sont en-dessous de tout. A ce niveau, la Belgique obtient l’avant-dernière place sur l’ensemble de l’UE. Ces investissements sont une nécessité absolue pour renforcer notre compétitivité, la prospérité, la croissance économique et pour soutenir une transition écologique.
  • Mobilité: les problèmes de mobilité ont un coût économique élevé. Il est urgent de s’y atteler en raison des 4 domaines évoqués (cohésion sociale, création de richesse, écologie et durabilité financière). Pour ce faire, il faut une vision fédérale, avec une place centrale pour le transport ferroviaire et un budget mobilité au sujet duquel les interlocuteurs sociaux ont déjà conclu un accord. 

En guise de conclusion :

Le gouvernement a délibérément choisi de restreindre fortement les négociations salariales collectives libres. Ceci est en flagrante contradiction avec la grande publicité qu’il fait pour le marché libre dans d’autres domaines. Cette liberté, le gouvernement ne la veut toutefois pas pour le pouvoir d’achat des travailleurs.

Les conséquences néfastes de la réforme de la loi sur les salaires sont claires :  le gouvernement opte pour une redistribution des travailleurs vers les entreprises. Dans le cadre des négociations interprofessionnelles qui commencent à la fin de cette année, nous exigerons une adaptation de la loi. Les travailleurs revendiqueront leur part légitime de la valeur ajoutée. Nous exigerons également que tous les éléments du rapports soient pris en considération en ce qui concerne la situation en matière de compétitivité des entreprises.