Travail de nuit : constats et alertes issus du colloque FGTB

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Le 24 octobre dernier, la FGTB de Charleroi Sud Hainaut et l’Atelier Santé ont organisé un colloque consacré au travail de nuit et à ses impacts sur la santé. Cette initiative répond à des projets politiques visant à flexibiliser encore davantage le travail en Belgique : lever l’interdiction générale du travail de nuit et modifier, pour certains secteurs, les horaires qui le définissent.

Remise en question du dialogue social et risque de discrimination

Là où le travail de nuit est autorisé, les organisations syndicales n’ont jamais refusé d’en négocier les modalités. Les contreparties ont toujours porté sur des primes ou sursalaires, des horaires tenables, la sécurité d’emploi et d’autres garde-fous pour protéger les travailleurs. Les accords d’entreprise déjà conclus montrent d’ailleurs combien un cadre solide est nécessaire lorsqu’on introduit le travail de nuit.

Aujourd’hui, les prestations effectuées entre 20 h et 6 h du matin sont considérées comme du travail de nuit. Les commissions paritaires déterminent, via des CCT, les primes qui compensent l’inconfort lié à ces horaires. En l’absence de CCT, une indemnité spécifique est prévue : 1,48 euro par heure, ou 1,78 euro pour les travailleurs de plus de 50 ans. Le supplément plus élevé pour ces derniers illustre la pénibilité particulière du travail de nuit. Les compensations peuvent être financières ou prendre la forme d’une réduction du temps de travail, exigée par les travailleurs∙ses pour compenser les effets nocifs sur la santé physique, mentale ou sociale.

Le gouvernement actuel souhaite désormais revoir les horaires donnant droit à une prime — en remplaçant le créneau 20 h-6 h par minuit-5 h pour certains secteurs comme le commerce alimentaire ou les grands magasins. Une telle mesure fragmenterait les accords existants et créerait des inégalités entre anciens et nouveaux contrats.

Rappelons qu’en 1992, la Belgique avait déjà franchi un premier cap en dénonçant la convention 89 de l’OIT, qui interdisait le travail de nuit pour les femmes. Sous couvert d’égalité, l’interdiction a été levée… mais les risques, eux, n’ont jamais disparu.

Plus de flexibilité au détriment du bien-être

Les effets du travail de nuit sur la santé sont nombreux, mais encore trop méconnus. La fatigue accumulée n’est que l’un des symptômes : le rythme circadien est profondément perturbé, entraînant des dérèglements hormonaux et un risque accru de certains cancers. Le Centre international de recherche sur le cancer classe d’ailleurs, depuis sa monographie 124 (2020), le travail de nuit posté comme probablement cancérigène pour l’être humain.

En France, la CFDT joue un rôle pionnier dans la sensibilisation aux risques liés au travail de nuit. Forte de son expérience dans la reconnaissance des cancers professionnels des mineurs lorrains, la CFDT Grand Est organise depuis des années des séances d’information, notamment près des grands hôpitaux. Grâce à cet accompagnement, plusieurs cancers du sein ont été reconnus comme maladies professionnelles chez des infirmières et aides-soignantes ayant travaillé de nombreuses nuits. Dans le secteur hospitalier, le travail de nuit s’ajoute à d’autres expositions — agents chimiques, rayonnements ionisants, stress, risques psychosociaux — dont les effets combinés restent peu étudiés. Les maladies sont rarement reconnues comme professionnelles. Une équipe pluridisciplinaire — médecins, juristes, avocats, experts, syndicalistes — accompagne gratuitement les travailleurs malades pour obtenir une reconnaissance indispensable : sans reconnaissance, pas de visibilité ; sans visibilité, pas de prévention possible.

En Belgique, aucun cancer du sein n’a encore été reconnu comme étant lié au travail. Les demandes sont rares, notamment en raison du long délai entre exposition et maladie. Beaucoup attribuent le cancer à des causes individuelles (antécédents, mode de vie, contraception, traitements hormonaux), sans envisager l’organisation du travail comme facteur de risque. Et lorsque la maladie survient, l’urgence est d’abord de se soigner, pas d’entamer une bataille administrative face à Fedris.

Application de la réglementation en matière de bien-être mise à l’épreuve

La réglementation relative au bien-être au travail continue de définir le travail de nuit comme toute prestation entre 20 h et 6 h.
L’employeur doit réaliser une analyse des risques pour identifier les activités comportant des tensions particulières et prendre les mesures préventives nécessaires. Tous les travailleurs de nuit doivent bénéficier d’une surveillance de santé obligatoire, y compris d’une évaluation préalable. Or, avec la pénurie de médecins du travail et l’augmentation de leurs missions prévue par l’accord du gouvernement, il sera difficile de suivre correctement un nombre accru de travailleurs de nuit. Cela augmenterait les risques pour leur santé, et par ricochet, l’absentéisme. Étendre le travail de nuit va donc directement à l’encontre de l’objectif affiché de réduire les incapacités de longue durée.

La FGTB continue de s’opposer à l’extension du travail de nuit

La FGTB maintient son opposition à l’extension du travail de nuit, en menant des actions ciblées et en multipliant les journées de formation, d’information et de sensibilisation. L’objectif est clair : freiner la course à l’hyper-flexibilisation du travail, prévenir les maladies professionnelles par la mise en lumière des risques, et accompagner les travailleurs∙ses vers la reconnaissance et la réparation qui leur sont dues.

Auteur: Caroline.VERDOOT@fgtb.be