Recrudescence de violences dans l’Est du Congo

Oost-Congo

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Depuis la fin du mois de janvier, l'est du Congo connaît une nouvelle flambée de violence, et ce à une échelle jamais vue depuis 2012 lorsque les rebelles du M23 s’étaient emparés, pour la première fois et brièvement, de la ville de Goma, capitale provinciale située sur les rives du lac Kivu, à la frontière avec le Rwanda. L'escalade avait conduit - quelques jours plus tard - à des manifestations de protestation dans la capitale congolaise de Kinshasa. Plusieurs ambassades avaient alors été attaquées dont l’ambassade belge. 

Genocide

En réalité, la violence qui frappe le Congo remonte à 1996 déjà. Tout a débuté peu après le génocide au Rwanda en 1994. On estime qu'entre 800.000 et 1.000.000 de Tutsi ont à l’époque été massacrés par des milices Hutu. Dix para-commandos belges appartenant à la force de maintien de la paix de l'ONU ont également été tués à Kigali. Pour sauver leur vie, de nombreux Tutsi ont fui par-delà les  frontières, rejoignant notamment ce qui était alors le Zaïre. Mobutu y était encore président. 

Depuis lors, environ 6 millions de personnes ont été tuées, principalement des civils, et autant sont aujourd’hui des réfugiés internes. Les actes de violence contre les civils sont à mettre au crédit de tous les belligérants. Le conflit entre Hutu et Tutsi trouve son origine dans la période coloniale, lorsque le Rwanda était encore un territoire sous mandat belge.

Matières premières

Outre la composante ethnique du conflit, il existe également une composante économique et géopolitique. Le Congo est riche en minerais et autres matières premières, dont beaucoup sont essentiels à la transition énergétique. Ces matières premières sont essentielles pour des pays comme les États-Unis, la Chine et l'Union européenne, engagés dans une lutte géopolitique pour s'assurer l'approvisionnement de ces matières premières. 

L'un de ces minerais, par exemple, est le coltan, dont la République Démocratique du Congo détient 70 % des réserves mondiales. C’est pourtant le Rwanda, dont les réserves et la production sont bien moindres, qui est le premier exportateur mondial. En raison de l'importance géostratégique de ces matières premières, l'Union européenne a signé un accord de principe avec le Rwanda. Ce « protocole d'accord » prévoit une coopération étroite entre l'UE et le Rwanda dans les cinq domaines suivants :

  • Intégration de chaînes de valeur durables pour les matières premières et soutien de la diversification économique, en garantissant le bon fonctionnement et la durabilité de ces chaînes de valeur.
  • Coopération en vue d'une production et d'une valorisation durables et responsables des matières premières critiques et stratégiques. Ceci implique une diligence raisonnable et une traçabilité accrues, une coopération dans la lutte contre le commerce illégal de matières premières et un alignement sur les normes internationales en matière d'environnement, de société et de bonne gouvernance.
  • La mobilisation de fonds pour l’aménagement des infrastructures nécessaires au développement des chaînes de valeur des matières premières (raw supply chains), notamment par une amélioration du climat d'investissement.
  • La recherche et l'innovation et le partage des connaissances et technologies liées à l'exploration, l'extraction, le raffinage, la transformation, la valorisation et le recyclage durables des matières premières critiques et stratégiques, leur remplacement, la gestion des déchets et la surveillance des risques liés à l'approvisionnement.
  • Le renforcement des capacités pour l'application des règles pertinentes, plus de formations et de compétences relatives à la chaîne de valeur des matières premières critiques et stratégiques.

À première vue, il n'y a rien de mal à conclure un tel accord, si ce n'est qu'il a été conclu sans aucune condition relative aux droits de l'Homme au Rwanda ou au conflit dans l'est du Congo. Le Rwanda est en effet accusé - et ce ne sont pas les preuves qui manquent - de soutenir, d'entraîner et d'armer les rebelles du M23. L'actuelle flambée de violence aurait impliqué quelque 4.000 militaires rwandais sur le territoire congolais. La plupart des organisations de la société civile estiment l'UE coupable d’une erreur diplomatique.

Des objectifs peu clairs

Les rebelles du M23 ont donc maintenant pris Goma et sont en route vers Bukavu, une autre ville au sud du lac Kivu. Au moment de la rédaction de notre article, l’aéroport est tombé aux mains des rebelles et les troupes du gouvernement congolais se sont retirées. La force de paix des Nations Unies, la MONUSCO, n’est pas parvenue à l’empêcher. Selon les estimations, depuis janvier, il y aurait eu 3.000 morts, un chiffre probablement sous-estimé. On ignore actuellement ce que veulent atteindre les rebelles du M23 ou le Rwanda, avec l’offensive lancée. Il est possible que le Rwanda souhaite élargir son territoire, prendre la capitale de la RDC, créer une zone de sécurité ou renforcer sa position de négociation. Ce qui est certain, c’est que le pouvoir politique de l’actuel président de la RDC, Félix Tshisekedi, est fortement mis sous pression. Les Congolais lui reprochent surtout sa réaction tardive à la prise de Goma.

Les ONG et syndicats belges qui ont des programmes de coopération dans la région suivent la situation de près. Les partenaires de la FGTB et de l’IFSI sont : la Confédération Démocratique du Congo (CDT), l’Union Nationale du Travail du Congo (UNTC) en le Conseil des Syndicats de Services Publics (COSSEP). Tous insistent auprès du nouveau ministre des Affaires étrangères pour l’arrêt des hostilités, l’aménagement de couloirs humanitaires, des sanctions pour le Rwanda et la contribution à un véritable processus de paix. 

La CSI-AFrique, qui s’était rarement prononcée sur le conflit jusqu’à présent, a également réagi très vivement et surtout explicitement. Ci-après, nous partageons le contenu de son appel :

« L’Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale (CSI-Afrique  - www.ituc-africa.org ) condamne fermement les violences en cours qui ont fait des centaines de morts, notamment parmi les soldats de la paix et les citoyens, et qui ont provoqué une catastrophe humanitaire à Goma, en République démocratique du Congo (RDC), où les rebelles du M23 ont pris le contrôle de la ville. L’escalade du conflit a non seulement aggravé les souffrances du peuple congolais, mais a également eu un impact disproportionné sur les travailleurs, en particulier les femmes, les enfants et les jeunes, qui constituent l’épine dorsale de la main-d’œuvre du pays.

En tant qu’organisation engagée en faveur des droits et du bien-être des travailleurs en Afrique, la CSI-Afrique est vivement préoccupée par la détérioration des conditions de vie des civils. Le déplacement forcé de plus d’un million de personnes, la destruction des moyens de subsistance et le ciblage d’infrastructures essentielles – notamment des hôpitaux, des marchés et des écoles – ont plongé les travailleurs dans un état de désespoir. Les habitants de Goma, déjà accablés par la pauvreté et l’instabilité économique, sont désormais confrontés à la triste réalité du chômage, de l’insécurité alimentaire et du manque d’accès aux soins de santé. Les femmes, qui représentent une part importante de l’économie informelle, ont perdu leurs moyens de subsistance et de survie. Dans le même temps, les enfants et les jeunes travailleurs sont de plus en plus vulnérables au recrutement par les groupes armés.

La CSI-Afrique appelle tous les acteurs impliqués dans cette crise, directement et indirectement, à prendre des mesures immédiates et concrètes pour mettre un terme aux souffrances du peuple congolais et rétablir la paix. Nous exigeons notamment ce qui suit :

  1. Au gouvernement de la RDC :
  • Assurer la protection des civils, en particulier des travailleurs, des femmes et des enfants, qui ont été touchés de manière disproportionnée.
  • Prendre les mesures immédiates, nécessaires et légales pour rétablir l’ordre public à Goma et dans les environs afin que les personnes déplacées puissent retourner en toute sécurité dans leurs foyers et sur leurs lieux de travail.
  • S’engager dans un véritable dialogue national qui donne la priorité aux préoccupations de tous les citoyens congolais, y compris les organisations patronales et les syndicats de travailleurs, pour résoudre les problèmes sous-jacents de gouvernance, de justice économique et de sécurité nationale.
  1. Aux rebelles du M23
  • Cesser immédiatement les hostilités et se retirer de Goma et des autres zones environnantes touchées pour éviter de nouvelles souffrances humanitaires.
  • Respecter le droit international humanitaire, notamment en protégeant les civils et les travailleurs, et permettre l’accès humanitaire à ceux qui en ont besoin.
  • Engager des négociations significatives en vue d’une résolution pacifique des griefs plutôt que de perpétuer les cycles de violence.
  1. Au gouvernement du Rwanda
  • Cesser tout soutien militaire aux rebelles du M23, comme l’affirment à plusieurs reprises des rapports internationaux crédibles.
  • Résistez et abstenez-vous de tout effort ou de toute déclaration visant à exacerber les tensions liées au conflit.
  • S’engager de manière constructive et s’engager dans un véritable dialogue et des efforts diplomatiques pour apaiser les tensions avec la RDC et soutenir les efforts de paix régionaux.
  • Cesser la participation ouverte ou secrète des Forces de défense rwandaises et leur soutien au groupe M23 dans le conflit en RDC.
  1. A la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine (UA)
  • Intensifier les efforts diplomatiques pour assurer un cessez-le-feu immédiat et durable et une solution politique durable à la crise.
  • Tenir toutes les parties responsables, y compris les acteurs extérieurs qui alimentent le conflit, en imposant des sanctions à ceux qui violent les accords de paix.
  • Déployer des missions supplémentaires de maintien de la paix et d’aide humanitaire pour protéger les civils, en particulier les plus vulnérables, notamment les travailleurs.
  • L’Union africaine doit élaborer et mettre en œuvre un rapprochement urgent et pragmatique pour apaiser les tensions et les tensions diplomatiques éventuelles entre les dirigeants des gouvernements directement ou indirectement liés à la crise de Goma. Cette crise NE DOIT PAS se transformer en guerre régionale.
  1. Aux Nations Unies (ONU)
  • Renforcer le mandat de la MONUSCO pour protéger efficacement les civils et intervenir dans les zones où les civils, les travailleurs et les communautés sont attaqués.
  • Tenir tous les auteurs de violations des droits de l’homme responsables de leurs actes et garantir la justice pour les personnes, les travailleurs et les familles concernés.
  1. Aux puissances mondiales, notamment les Etats-Unis, l’Union européenne, le Royaume Uni et la France
  • Faire pression sur toutes les parties, y compris le Rwanda et la RDC, pour qu’elles engagent des pourparlers de paix et mettent un terme à l’escalade militaire.
  • Résistez et abstenez-vous de tout effort manifeste ou secret visant à prendre parti et à alimenter le conflit dans le but de tirer profit des extractions de minéraux essentiels, comme le suggèrent les accords et accords actuels avec les parties à la crise.
  • Veiller à ce que le commerce des minéraux critiques congolais n’alimente pas le conflit en appliquant des mesures strictes de transparence de la chaîne d’approvisionnement aux sociétés multinationales qui bénéficient de l’exploitation illégale des ressources.

Mettre fin au cycle de la violence et de l’exploitation

Ce conflit ne concerne pas seulement le contrôle territorial ; il est profondément lié à l’exploitation des vastes richesses minières de la RDC, qui devraient profiter au peuple congolais plutôt qu’alimenter la guerre et la souffrance. La CSI-Afrique exige une réponse mondiale qui donne la priorité au bien-être du peuple, des travailleurs, des familles et des communautés de la RDC plutôt qu’aux intérêts des entreprises et des politiques.

Nous marquons notre sympathie avec les familles qui ont perdu des êtres chers dans cette résurgence du conflit violent en RDC, notamment les familles des soldats de la paix de différentes nations. Nous continuerons à chérir et à apprécier leurs sacrifices suprêmes et leurs souvenirs.

Les travailleurs africains sont solidaires de la population de Goma, des familles, de tous les travailleurs et de toutes les communautés touchées par cette violence insensée mais évitable. Il est temps de mettre fin à la guerre et de mettre un frein à l’impunité en exigeant et en garantissant la responsabilité. Nous réaffirmons notre engagement à plaider et à contribuer au rétablissement d’une paix durable, de la dignité et de la justice économique pour tous les Congolais, leurs familles et leurs travailleurs. Nous appelons les personnes de bonne volonté et la communauté humaine mondiale à se tenir à nos côtés pour exiger la fin du conflit violent en RDC ».

La FGTB et l’IFSI soutiennent leurs partenaires dans leur appel à la paix. Sans paix, il continuera à y avoir de nombreuses victimes et la région ne pourra pas se développer pleinement. Dans un contexte de guerre et de violence, il ne peut pas être question de travail décent.

Auteur: stefan.degroote@ifsi-isvi.be