La « législation européenne omnibus simplifiée » : une dérégulation aux lourdes conséquences sociales ?

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Le 26 février 2025, la Commission européenne proposera une nouvelle « législation omnibus simplifiée ». Si l’on ignore encore actuellement ce qui se trouvera concrètement dans le texte, le cadre général et les motifs donnent suffisamment d’arguments pour pour nous préparer sur le plan syndical. 

Après une réunion informelle des dirigeants du Conseil à Budapest le 8 novembre 2024, Ursula von der Leyen a déjà annoncé qu’elle souhaitait alléger les charges pour les entreprises, plus particulièrement en rationnalisant les obligations de rapport, en réduisant les charges administratives et en regroupant et harmonisant les obligations existantes concernant le rapport de durabilité.

Une continuité du Rapport Draghi

Elle donne ainsi suite au rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE, établi à la demande de la Commission européenne. Mario Draghi voit notamment dans une régulation trop importante, un obstacle à la promotion de l’innovation et de là, au renforcement de la croissance économique et de la compétitivité de l’UE, principalement par rapport aux Etats-Unis et à la Chine. 

La Commission sera plus particulièrement attentive aux obligations de rapport reprises dans les 3 mesures législatives qui ont été développées comme partie du Green Deal européen et pour contraindre les entreprises à s’atteler au changement climatique et à faire rapport sur leurs émissions de CO2 :

  • Le règlement de la taxonomie de l’UE (2020) pour des activités durables. La taxonomie a créé un système de classification pour les entreprises et les investisseurs afin de déterminer quelles activités peuvent être considérées comme vertes ou sans incidence sur le climat.
  • La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD – 2023). Cette directive a élaboré des exigences de rapport pour les entreprises en matière d’environnement, de société et de gouvernance.
  • La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDD – 2024) a élaboré des exigences de rapport supplémentaires et défini la responsabilité légale des entreprises par rapport à leur chaîne de fournisseurs. Le but est non seulement de réguler les actions directes d’une entreprise, mais aussi de veiller à ce que ses fournisseurs répondent aux objectifs en matière de climat et de respect des droits de l’Homme.

Les risques d’une simplification irréfléchie et mal placée 

Bien qu’en soi, la simplification des procédures puisse améliorer l’efficacité, avec cette proposition, il y aura un risque réel et de plus en plus important que la simplification ne se traduise par une dérégulation de la protection essentielle de l’UE au niveau social, environnemental et démocratique et concernant les droits de l’Homme. 

Les droits des travailleurs et le droit social et du travail, en plus de la protection de l’environnement, de la santé publique et la protection sociale, ne sont cependant pas des charges, mais constituent le fondement d’une société résiliente et équitable qui fonctionne bien. 

La simplification de la législation qui sous-tend ce fondement risque de miner le cadre nécessaire pour la transition juste et verte. Parallèlement, réduire les obligations de rapport sans tenir compte des objectifs politiques qui sont ainsi visés, pourrait compromettre le maintien effectif des acquis de l’UE. 

L’effet boomerang économique 

Les défis pour certains secteurs ne sont pas dus à une réglementation excessive, mais plutôt à l’échec des gouvernements et des entreprises à planifier et à investir et à s’adapter aux transitions nécessaires. La régulation pourrait justement être un moteur pour l’innovation. 

Prenons par exemple la crise que connaît l’industrie automobile allemande : elle n’est pas la conséquence d’un trop grand nombre de règles, mais de l’absence d’innovation et de vision et d’un passage trop lent aux voitures électriques. Les entreprises ont continué à donner la priorité aux moteurs à combustion plutôt qu’à un modèle d’entreprise orienté vers l’avenir et avaient confiance en leur capacité à maintenir, par leur lobbying, le statu quo du primat des voitures à combustion, sans suffisamment tenir compte du contexte climatique et d’innovation mondial. 

Toute dérégulation qui serait appliquée aujourd’hui ouvrirait la porte à une concurrence déloyale et serait contre-productive pour l’innovation et la durabilité. 

La dérégulation n’est jamais la réponse

La Commission européenne doit offrir des garanties face au recul ou au contournement des normes environnementales. Elle doit implémenter, garantir et contrôler la législation existante et développer une nouvelle réglementation nécessaire pour la transition juste tant au niveau de l’UE que des Etats membres. 

Partir de l’intérêt des employeurs pour privilégier la compétitivité pure et simple plutôt que l’intérêt général et les préoccupations sociales et écologiques n'est ni acceptable ni durable tant comme position de départ que comme stratégie.

Joeri.hens@abvv.be