EU Talent Pool: une nouvelle boîte de Pandore pour le dumping social

Sociale dumping

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En novembre 2023, la Commission européenne lançait la proposition d’un règlement portant création d’un réservoir européen de talents. La Commission vise ainsi à répondre aux pénuries aigües et structurelles de main d’œuvre et de compétence dans de nombreuses professions au niveau européen. Elle veut créer une plateforme informatique à l’échelle de l’Union visant à faciliter le recrutement international pour des demandeurs d’emploi de pays tiers et des employeurs établis dans l’Union. C’est un outil facultatif à disposition des États membres. 

Dès le début, la CES et la FGTB ont tiré la sonnette d’alarme pour contrer cette proposition et nous continuons à le faire. Le conseil a défini son mandat en juin 2024, mandat dans lequel nos revendications ont été entièrement rejetées. Les travaux au Parlement européen sont encore en cours. 

Menace d'un nouveau dumping social

Nous restons fortement opposés à la proposition qui est sur la table et qui n’offre pas aux travailleurs migrants suffisamment de garanties pour leur assurer le plein respect des droits du travail, syndicaux et sociaux sur un pied d’égalité avec les citoyens de l’UE. Une fois de plus, parce qu’il est question de « professions en pénurie » concernant des secteurs à forte intensité de main-d'œuvre et sensibles à la fraude, où les travailleurs migrants sont souvent victimes de discrimination, voire d'exploitation et de traite des êtres humains.

La proposition de Talent Pool va au-delà d'un « outil de mise en relation ». Elle définit d’une part les « employeurs participants » et d’autre part les « entités participantes » qui recoupent les agences d'emploi privées, les agences de travail temporaire et les intermédiaires du marché du travail. Le problème est qu’il n’y a aucun contrôle quant à l’honorabilité de ces recruteurs, aucune procédure de sélection, ni aucune possibilité d’exclusion en cas de mauvaise conduite.

La proposition rend les chaînes de sous-traitance plus toxiques en y intégrant davantage d'intermédiaires de recrutement de main-d'œuvre, au lieu de les réglementer et de les limiter. En effet, avec la définition des « entités participantes », le lien entre l'employeur et le travailleur sera plus faible. Plus la chaîne de sous-traitance est longue, plus il est difficile de détecter les violations des droits du travail et de mettre en œuvre des sanctions. 

La réserve de talents interfère avec l'autonomie des partenaires sociaux sectoriels aux niveaux européen et national et ignore le rôle des partenaires sociaux dans certains États membres de l'UE dans la définition de certains emplois comme « profils de pénurie.

Enfin, cette proposition représentera un coût exorbitant sans que son efficacité n’ait été démontrée.

De meilleures conditions de travail comme solution

La solution à la pénurie de main d’œuvre sur le marché du travail consiste à améliorer les conditions de travail pour tous les travailleurs (donc également pour les  travailleurs migrants qui résident dans l’UE).  

Pour garantir des emplois dignes, de qualité et non-discriminatoires pour les travailleurs migrants, l’UE doit :

  • Évaluer l’efficacité de sa réglementation en matière de migration économique, plus particulièrement en ce qui concerne le niveau de protection offert aux travailleurs migrants et supprimer les lacunes.
  • Veiller à ce que tous les travailleurs – quel que soit leur statut de résidence – puissent signaler les violations de leurs droits du travail sans devoir craindre de représailles ou l’expulsion.
  • Prévoir un socle commun de droits pour les travailleurs migrants pour garantir ainsi l’emploi direct, limiter la sous-traitance, réglementer le rôle des intermédiaires du marché du travail, garantir l’accès aux syndicats et augmenter le nombre d’inspections du travail.
  • Elargir le mandat et la compétence de l’Autorité européenne du travail, ce qui serait un moyen efficace de lutter contre les faux détachements par exemple.
  • Porter son attention sur les conséquences de la « fuite des cerveaux » dans les pays d’origine des migrants ;

En bref, il existe de bien meilleures façon d’utiliser cet argent : soutenir l’accès à des informations et conseils adéquats, investir dans l’application de la réglementation pour prévenir l’emploi précaire et lutter contre l'exploitation par le travail, la fraude et le dumping social.

Auteurs: isabelle.doyen@abvv.bejoeri.hens@abvv.be