Travail et assuétudes: les défis d'une politique de prévention
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Dans le cadre du Plan interfédéral 2023-2025 de lutte contre la consommation nocive d'alcool, différents services publics fédéraux et le Conseil National du Travail (CNT) ont organisé, le 20 novembre 2024, une conférence pour stimuler une politique de prévention en milieu de travail relative à la consommation d'alcool.
Experts du bien-être au travail, interlocuteurs sociaux et experts dans ce domaine ont ainsi pu partager leurs expériences et leurs connaissances. La FGTB est intervenue au nom des syndicats. Dans notre intervention, nous avons renvoyé aux difficultés rencontrées sur le terrain.
Prévention ?
La politique préventive en matière d’alcool et de drogues se réduit en effet trop souvent à des tests de dépistage et/ou des sanctions, avec un accent beaucoup moins important mis sur la prévention. Certaines entreprises optent en outre pour une approche trop formaliste et limitent leur politique en matière d’alcool et de drogues à la déclaration de politique ou d’intention (obligatoire), sans soutien, implication ou affinité avec l’entreprise même.
La concertation sociale est au centre de la CCT 100, tant dans le cadre de l’élaboration de la déclaration politique obligatoire qu’ensuite, si la déclaration politique le prévoit, lors de l’élaboration de mesures concrètes. Une évaluation et des adaptations régulières sont également rendues obligatoires par la CCT 100.
Tester
La possibilité pour l’employeur de procéder à des tests de dépistage est et reste une question délicate. La marge de manœuvre concernant la réalisation de tests par un employeur est très mesurée et limitée par des règles hiérarchiquement supérieures à la CCT 100, dont la législation relative à la protection de la vie privée et ladite « loi Mahoux » (Loi du 28 janvier 2003 relative aux examens médicaux dans le cadre des relations de travail).
La loi Mahoux n’autorise pas l’employeur à faire effectuer des « tests biologiques et examens médicaux » et l’employeur ne peut pas non plus obliger le médecin du travail à le faire. Seuls des tests non biologiques qui ne relèvent pas du champ d’application de la loi Mahoux peuvent en effet être réalisés par l’employeur.
Relèvent sans aucun doute des tests biologiques, les tests sur la base d’un prélèvement de sang, d’urine, de salive ou de cheveux. Les tests non biologiques sont des tests non étalonnés dont le résultat ne donne qu’une indication positive ou négative, mais aucune certitude quant à l’intoxication ou l’aptitude à travailler. La CCT 100 contient même des exemples de tests non étalonnés comme les tests d’haleine, ou les tests psychomoteurs, par exemple. Il est toutefois requis que ces tests non biologiques autorisés pour l’employeur ne soient pas étalonnés de sorte que le résultat ne donne qu’une indication de l’intoxication (en principe, il peut aussi y avoir des faux positifs et des faux négatifs). En cas de test d’haleine, par exemple, il doit s’agit d’un test d’haleine (une analyse qualitative – positive ou négative) et non d’un test d’analyse de l’haleine (une analyse quantitative).
Les tests ne restent autorisés que s’ils sont prévus dans la phase 2 (facultative) de la politique de prévention relative à la consommation d’alcool et de drogues (et par conséquent repris dans le règlement de travail). Cette politique de prévention ne peut pas non plus se limiter aux seuls tests de dépistage de consommation d’alcool et de drogues. La CCT 100 comprend également un cadre minimum obligatoire.
Selon la CCT, seul l’employeur propre est compétent pour la politique de tests (en pratique, les travailleurs des sous-traitants sont également soumis à des tests, ce qui n’est toutefois pas permis. De plus, ces tests sont parfois effectués sous la menace de ne pas être autorisé à travailler (par exemple à la porte d’entrée).
Restrictions
Les tests effectués par le médecin du travail sont également soumis à un certain nombre de restrictions, dont la loi Mahoux susmentionnée.
L’objectif de la loi Mahoux était d’interdire par principe l’examen génétique prévisionnel et les tests HIV dans le cadre des relations de travail (pour éviter une médecine de sélection). C’est pourquoi des examens médicaux et tests biologiques ne peuvent être effectués sur un travailleur/candidat-travailleur pour d’autres considérations que celles tirées de ses aptitudes actuelles et des caractéristiques spécifiques du poste à pourvoir. Ils ne sont donc possibles que pour les travailleurs qui exercent des fonctions à risques (soumis à une surveillance de santé obligatoire) pour détecter les anomalies et contre-indications au poste de travail à occuper.
En outre, le médecin- doit agir en toute indépendance par rapport à l’employeur et ne peut lui indiquer aucun motif d’inaptitude concernant un travailleur.
Des règles déontologiques, dont les directives du Conseil national de l'Ordre des médecins, imposent également des limites importantes à la possibilité pour le médecin du travail de procéder à des tests biologiques. Ainsi, l'évaluation de l'aptitude doit en premier lieu reposer sur des méthodes d'analyse clinique, sur le comportement du travailleur et sur sa réponse à des tests fonctionnels adaptés à la fonction à exercer.
Sanctions
Un autre point sensible pour nous reste un lien entre un test positif et les sanctions qui s'ensuivent. Comme le stipule la CCT 100, un test positif peut éventuellement être l’occasion d’orienter l’intéressé vers les intervenants de l’entreprise ou de prendre immédiatement à son encontre une mesure d’éloignement temporaire du lieu de travail. Un test positif ne doit jamais conduire à une dégradation.
Un employeur ne peut toutefois pas se baser uniquement sur les résultats des tests pour prendre des décisions de sanctions. Ces résultats peuvent toutefois être un élément du jugement global du travailleur testé. Il est également indiqué de prévoir une possibilité de défense et/ou de vérification des résultats du test pour le travailleur testé.
Un test positif, la consommation d’alcool ou de drogues n’induisent pas non plus automatiquement la possibilité d’invoquer un motif grave (même si c’est prévu dans le règlement de travail). Chaque situation concrète doit être examinée à la lumière des conditions de l’art.35 de la loi relative aux contrats de travail qui requiert une faute grave rendant immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l’employeur et le travailleur. Les obligations imposées par la CCT 100 concernant la mise en œuvre d’une politique préventive en matière d’alcool et de drogues peuvent également avoir une influence sur l’interprétation de la notion de « motif grave ».
Seules les sanctions prévues dans le règlement de travail peuvent être imposées (par ex. suspension avec perte de salaire).
Point de départ
Malgré les difficultés mentionnées, la CCT 100 représente un bon point de départ pour l’élaboration d’une politique préventive réfléchie en matière d’alcool et de drogues et laisse suffisamment de marge pour un travail sur mesure (tenant compte de la spécificité de chaque entreprise).
Cette CCT suppose également une approche participative, positive, pragmatique et phasée par rapport à la problématique de l’alcool et des drogues sur le lieu de travail, avec un accent mis sur la prévention et le respect de la vie privée des travailleurs.
Auteur: anna.makhova@abvv.be