Pénibilité au travail : une “mauvaise pièce” dont les travailleurs ressortent perdants.

09 novembre 2018
Actualité

D’une manière irresponsable, les discussions concernant la reconnaissance de la pénibilité du travail ont été subitement interrompues par les organisations patronales. Retour sur le déroulement de cette «mauvaise pièce de théâtre».

En résumé : 

• Acte 1 - La promesse :  Après avoir relevé l’âge de la pension à 67 ans, imposé de nouvelles conditions pour la pension anticipée, allongé les conditions de carrières pour les RCC/prépensions, le Gouvernement s’était engagé à reconnaître la pénibilité au travail. Une promesse faite aux travailleurs exerçant des tâches pénibles. Cette promesse : partir plus tôt en pension. 

• Acte 2 - La trahison : La concertation a rapidement rencontré ses limites, contrainte par un budget restreint et imposé par le Gouvernement. Un champ de possibilités abandonné en jachère stérile. Ce ne seront pas le labeur, l’effort, la tâche ou le mérite qui feront la pénibilité mais le chiffre. Le métier pénible ne sera pas déterminé selon le travail, mais en fonction du budget restant. Quant à ceux qui pourront partir plus tôt, il y en aura. Ceux-là feront face à un choix abjecte, les années gagnées contre le revenu. Choisir le repos, ce sera perdre en pension. 

• Acte 3 - La rupture : Malgré les attentes et les réalités, les organisations patronales ont retiré la prise. Les négociations ont cessé. En dépit du caractère constructif, faisable et justifié de nos propositions, les organisations patronales n’ont jamais montré signe d’une réelle volonté de négocier sérieusement. Seul le travail de nuit, selon eux, pouvait être considéré comme du travail pénible. 

Certaines organisations patronales ont donc renoncé à leurs responsabilités. Elles ont refusé les compromis, elles ont ignoré les travailleurs aux carrières empreintes de pénibilité, les empêchant de partir plus tôt en pension. Une comédie, une farce, un scandale ! Alors que la reconnaissance de la pénibilité devait être la compensation d’une pension à 67 ans, et quand il apparait clairement que de nombreux travailleurs ne pourront tout simplement pas exercer leur métier jusqu’à 67 ans. 

Un travail constructif… 

Depuis des mois, les organisations syndicales ont réalisé un travail constructif visant à rendre fonctionnel les 4 catégories de critères de pénibilité (pour rappel : l’organisation du travail, la charge physique, la charge émotionnelle ou mentale et les facteurs de risque de sécurité). L’objectif étant que la reconnaissance d’un ou de plusieurs critères permette aux travailleurs de terminer leur carrière en douceur et de partir en pension à un âge raisonnable avec une pension décente. 

Nous avons affiné ces critères de manière objective et scientifique. Et soucieux d’éviter une « lourdeur » administrative aux entreprises, nous avons travaillé à les rendre clairs, contrôlables, mesurables et enregistrables. 

Nous avons ensuite remis des propositions basées sur les lois, les pratiques quotidiennes, et la littérature scientifique. Toutes été rejetées par les organisations patronales. 

Des patrons crispés qui tirent le frein à main ! 

Les organisations patronales se sont livrées à un jeu de dupes. Assises à la table en apparence, elles ont saboté les négociations. Malgré notre volonté d’un débat serein et sérieux, elles ont refusé les discussions sur la reconnaissance de la pénibilité. Nous riant au nez, elles se sont amusées de nos « longues listes » et de notre « volonté d’inclure tous les travailleurs ». Nous n’avons jamais fait que porter le débat sur les facteurs de risque professionnels. Mais de ceci, il n’était pas question. 

Les organisations patronales ont d’abord souhaité une reconnaissance de la pénibilité pour le travail de nuit uniquement.

Pour le travail en équipe, même chose ! La pénibilité ne pouvait être reconnue que si le travail s’effectuait de nuit. 

En ce qui concerne la charge psychosociale, les organisations patronales ont proposé de reconnaitre le stress ou la pression uniquement pour les travailleurs confrontés « de manière régulière à la mort d’enfants » ou à « des conditions de mort horrible »…

Les discussions ce sont réduites à cette comédie de théâtre… N’en reste à conclure, que les organisations patronales refusent d’envisager la reconnaissance de la pénibilité. Elles préfèrent laisser le Gouvernement se dépatouiller, refusant leur rôle-même d’interlocuteurs sociaux. 

Le Gouvernement hypothèque nos pensions.

Depuis son entrée en fonction, ce gouvernement et le ministre Bacquelaine ont décidé de faire des économies sur nos pensions. Leur objectif est clair : dépenser moins. Le dossier pénibilité n’a pas échappé à cette logique. 

Dès le départ, les négociations et la concertation sociale étaient faussées, empêchées par un cadre budgétaire. Avant même que les débats ne commencent, le Gouvernement avait déterminé une enveloppe qui ne pouvait être dépassée. Qui donc peut se dire soucieux de la concertation sociale quand de tels procédés sont appliqués ? Fixer une enveloppe en premier lieu, c’est de l’ignorance. L’imposer, c’est du mépris. Parler argent avant tout, c’est renoncer à la dimension humaine.

Devant l’arbitraire, les organisations syndicales n’ont pas pu trouver de solutions justes et équilibrées. L’esprit d’économie a occulté la réalité de centaines de milliers de travailleurs. Quant aux employeurs, ils ont détourné le regard. 

Et puis, parce qu’une bassesse n’est jamais loin d’une autre. Le Gouvernement a vendu le dialogue social en adoptant son FEB DEAL, cet été. Résolutions qui prévoient qu’aucun accord ne pourra être conclu concernant la pénibilité, les aménagements de fin de carrière et autres formes de RCC (prépensions). 

Le Conseil d’État donne raison aux organisations syndicales.

Pour le secteur privé, les organisations syndicales ont unanimement rejeté le système de pénibilité inventé par le ministre Bacquelaine. Trop de lacunes ! Un avis négatif avait déjà été remis avant l’été (au comité de direction du Service fédéral des pensions) sur l’avant-projet de loi. En octobre, le Conseil d’État a rendu son avis. Celui-ci émet de sérieuses réserves et confirme les craintes et remarques formulées par les organisations syndicales. 

Une enveloppe budgétaire limitée : Le projet de loi prévoit qu’il doit être tenu compte des limites budgétaires. Les critères objectifs permettant de déterminer la pénibilité d’un métier seraient donc soumis à un impératif financier. Ce qui pour le Conseil d’État est contraire au principe d’égalité et entrainerait  des différences de traitement. 

Critère de la charge psychosociale subsidiaire : Le Conseil d’État estime que la non-reconnaissance de la charge psychosociale comme critère à part entière conduira à des cas de discrimination. 

Nos propositions :

Après cet échec, le Gouvernement reprend donc le dossier en main. Les organisations syndicales exigent que le Gouvernement ne reste plus sourd et réponde à l’appel des travailleurs. A cet égard, nous exigeons : 

1) Une réadaptation profonde du projet de loi qui pour l’heure, s’avérerait néfaste pour les travailleurs et dont le seul but est de permettre à un nombre limité de travailler un peu moins longtemps, mais pour beaucoup moins de pensions :

- Pas de perte de pension pour les travailleurs exposés à la pénibilité.

- La prise en compte réel de la pénibilité du travail avant 2020.

2) Une réelle reconnaissance de la pénibilité sur base de critère établi de manière objective, quantifiable et scientifique ;

3) Un budget réaliste qui tient compte de la réalité des travailleurs ;

4) La reconnaissance pleine et entière du critère de la charge « psychosociale » ;

5) Le maintien des systèmes de RCC en cas de métier pénible à 59 ans ;

6) Le maintien des régimes de fin de carrière pour métiers pénibles, carrières longues, entreprises en difficulté et restructuration à 55 ans.

Nous rappelons enfin au ministre Bacquelaine ses  déclarations de 2014, dans lesquels il maintient que seuls 5 à 10% des travailleurs allaient effectivement devoir travailler jusqu’à 67 ans. Une affirmation qu’il a depuis revue. Depuis avril, le Ministre parle désormais de 10 à 15 %. Tout ça alors que l’espérance de vie en bonne santé des travailleurs est d’en moyenne 64 ans ! Monsieur le Ministre, tenez votre parole ! Permettez aux travailleurs qui exercent un métier pénible de terminer leur carrière en bonne santé, à un âge raisonnable et avec une pension décente !