Réforme de l’assurance chômage (2/2) : l'offre finale d'emploi

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Le 14 avril dernier, le cabinet Clarinval envoyé pour avis le volet “chômage” du projet de loi-programme aux membres du Comité de gestion de l’ONEm et à la Section de Législation du Conseil d’Etat. Ce projet de texte a entre-temps été modifié suites aux différents avis remis au gouvernement fédéral par les membres du Comité de gestion et par le Conseil d’Etat. La FGTB proposera chaque mois un aperçu de la réforme sous un angle différent. 

Pour cette première édition du mois de mai, nous proposons de revenir (1) sur les trois grandes lignes de la réforme, telles qu’elles nous sont connues au moment d’écrire ces lignes et, (2) le grand absent de la réforme : l’offre finale d’emploi avant la possible exclusion du bénéficiaire des allocations de chômage.

 

Le 31 janvier 2025, le gouvernement fédéral adopte son accord, dans lequel on peut lire que “La durée des allocations de chômage est limitée à un maximum de 2 ans. Pour de courtes périodes de travail interrompu, la durée maximale est suspendue pendant la durée de cet emploi. Chaque service régional pour l’emploi décide de façon autonome de la manière dont il orientera les bénéficiaires d’allocations de chômage vers le circuit économique normal à la fin de cette période, par le biais d’une offre d’emploi finale.”

Ce passage de l'accord est, à l'heure actuelle, toujours absent du volet "chômage" du projet de loi-programme. Contrairement à l'idée reçue actuellement véhiculée par les parties de droite, le maintien et le retour à l'emploi ne relèvent pas de la responsabilité individuelle des travailleurs, en témoignent les récentes tragédies comme les fermetures et de délocalisation d'Audi, de Cora, de Van Hool, etc. La FGTB demande donc que le gouvernement fédéral prenne ses responsabilités et ne fasse pas reporter l'entièreté de la charge de l'emploi sur les épaules des demandeurs d'emploi : les entreprises et les autres niveaux de pouvoirs doivent également être responsabilisés pour créer les conditions nécessaires à l'emploi durable pour toutes et tous. 

En ce sens, la FGTB, la CSC et la CGSLB ont envoyé à l’ensemble des ministres compétence (fédéraux et régionaux) une lettre en front commun syndical les appelant à prendre leurs responsabilités pour ne pas seulement sanctionner les demandeurs d’emplois mais également créer les conditions nécessaires pour qu’ils retrouvent de manière pérenne le chemin de l’emploi durable. Cette lettre est jusqu’à ce jour restée sans réponse. 

Mais n’est-ce pas plutôt une compétence des régions ?

Au niveau de la répartition des compétences, s'il revient effectivement aux régions de mettre en œuvre la concrétisation de cet accompagnement vers une offre finale d'emploi, il convient de rappeler que c'est bien l'autorité fédérale qui reste compétente “pour le cadre normatif en ce qui concerne la réglementation en matière d'emploi convenable, de recherche active d'un emploi, de contrôle administratif et de sanctions.” Rien n’empêche donc le gouvernement de s’atteler à un réel accompagnement des demandeurs d’emploi plutôt que de violemment les exclure sans autre forme de procès. 

Une offre finale d’emploi et basta ?

Cette mesure, si elle est implémentée de n’importe quelle manière, pourrait produire des effets totalement pervers : intensifier le travail des services régionaux de l’emploi (VDAB, Forem, Actiris et ADG), obliger les demandeurs d'emploi à accepter n’importe quel emploi sous menace d’exclusion, etc. La FGTB préconise donc, en plus de clarifier certains éléments plus techniques, des balises minimales à prendre en compte si cette offre finale d’emploi voit le jour. 

  • Premièrement, cette l'offre d'emploi finale proposée par le service régional de l’emploi ne pourrait mener à une extinction du droit aux allocations de chômage que si elle est considérée comme convenable (compte-tenu des critères de la réglementation chômage et de la jurisprudence, vu qu’il s’agit d’une appréciation au cas par cas). Si l'offre ne peut pas être considérée comme convenable, le travailleur doit pouvoir la refuser tout en restant protégé par l'assurance chômage. En d'autres termes : l'absence d'offre finale d'emploi convenable et le refus d'emploi convenable pour motif légitime doivent constituer une exception à la limitation dans le temps.
  • Deuxièmement, la FGTB rappelle que si l'emploi est considéré comme convenable, le travailleur peut invoquer un ou plusieurs motifs légitimes de refus, qui sont en fait des circonstances invoquées par le travailleur et qui permettent de ne pas lui reprocher (et donc de sanctionner) son refus d'emploi convenable. La difficulté à ce niveau est que c’est au demandeur d’emploi de prouver qu’il a bien un ou plusieurs motifs légitimes pour refuser l’emploi proposé. Les services de contrôle des services régionaux de l’emploi (et en cas de contestation de la sanction, les cours et les tribunaux du travail) évalueront les critères et tiendront compte des circonstances spécifiques, au cas par cas.
  • Troisièmement, la FGTB demande que davantage de critères soient pris en compte pour qualifier un emploi de convenable ou pas : l'âge, les qualifications, l’expérience professionnelle, les difficultés et les dépenses inhérentes à l'emploi (par ex. garde des enfants, mobilité), etc.
  • Quatrièmement, la FGTB demande de prévoir que si l’offre d’emploi ne permettrait pas, à terme, de pouvoir rouvrir des droits au chômage, le travailleur peut rouvrir des droits a minima pour la durée de la période travaillée après exclusion. De cette manière, on s’assure d’une protection et d’un accompagnement pérenne vers un emploi durable. La raison d’être du régime de chômage est de protéger contre le risque de perte d’emploi (involontaire), et donc de revenus professionnels. Il s’agit d’un principe assurantiel : le travailleur cotise pour être protégé. Si l’on exclue des personnes du chômage avec des contrats précaires qui ne permettent pas de retomber sur le chômage, c’est comme si on les excluait avec un sursis. Cette circonstance mise en parallèle de la possibilité de prolonger la période de chômage par de courtes périodes travaillées (c’est-à-dire favoriser des situations où un travailleur alterne période de chômage et emploi de courte durée) et la possibilité de quitter un emploi sont une attaque frontale au mécanisme assurantiel du chômage. L’ONEm le rappelle d’ailleurs dans une étude : « les trajectoires d’emploi interrompues se traduisent plus souvent par un nombre de jours prestés insuffisant ».
  • Enfin, cinquièmement, il convient de revoir la hauteur des sanctions possibles puisque, à l'avenir, les sanctions pourraient être plus longues que la durée du chômage. En effet, dans le cadre de certains contrôles, il existe des fourchettes de sanction pouvant aller jusqu’à 52 semaines voire jusqu’à l’exclusion du droit aux allocations. En gardant des sanctions aussi sévères (introduites progressivement par les différents gouvernements passés, notamment compte-tenu du contexte belge de la possibilité d’allocations de chômage illimitées dans le temps), la Belgique serait tout simplement le pays d’Europe dont le ratio entre durée du droit et hauteur de la sanction serait le plus élevé. 

Mais du coup, qu’est-ce qui a fait ses preuves jusqu’à présent ?

L'ONEm est lui-même arrivé à la conclusion que jusqu'à présent, le seul mécanisme qui a fait ses preuves pour rediriger durablement les personnes vers un emploi durable, ce sont les dispositifs comme les dispenses et les formations professionnelles ou les études qu’elles couvrent. Évidemment ces mécanismes requièrent du temps et des investissements mais sont des solutions réalistes à un problème complexe (au contraire d’une piste brutale et déconnectée de la réalité). Une telle piste présente cependant un autre avantage : résorber le taux d’emplois vacants en améliorant les compétences les plus pertinentes et, plus précisément, en rapprochant les demandeurs d’emploi des métiers en pénurie de main-d’œuvre. Il est particulièrement ironique et incompréhensible que le projet de loi-programme limite également la durée des allocations pour les personnes qui suivent une formation qui mènent vers un métier qui soit, ou non, en pénurie (sauf pour les aides-soignants et les infirmiers).

Un problème aussi complexe, sensible et multifacette que le retour pérenne vers un emploi durable des personnes éloignées depuis longtemps du marché de l’emploi ne se résoudra pas avec des vagues d’exclusion. Si le but du gouvernement est réellement d’atteindre un certain taux d’emploi et effectuer des économies à moyen et long terme, alors il lui faudra au minimum créer des emplois durables, prévoir des accompagnements dans la durée, investir dans les formations et arrêter de promouvoir les formes les plus flexibles d’emploi qui non seulement échappent (au moins en partie) au financement de la sécurité sociale et ne participent pas à l’augmentation du taux d’emploi (nous pensions directement au travail étudiant et aux flexi jobs). 

Auteur : Hugues.GHENNE@fgtb.be