Limitation dans le temps des allocations de chômage : l’Institut DULBEA confirme les prévisions de la FGTB !

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Le 03 septembre 2024, le service d’étude de politique sociale et de bien-être de la FGTB publiait une étude sur l’impact de la limitation dans le temps des allocations de chômage. Dans cette étude, nous démontrions, chiffres et simulations à l’appui, que ce point récurrent des programmes de la plupart des partis potentiellement appelés à former un gouvernement fédéral était (et reste) largement idéologique et qu’il ne reposait pas (et ne repose toujours pas) sur des données empiriques ou des éléments concrets. Au contraire, cette réforme pourrait s’avérer être désastreuse tant pour les individus que pour la collectivité et les autorités publiques. 

Ce dossier FGTB est disponible en cliquant ici. Des analyses régionales sont également disponibles et réalisées par la FGTB flamande (ici et ici) et la FGTB wallonne (ici).

Le Département d’économie appliquée de l'ULB confirme

En décembre de la même année, l’Institut de recherche DULBEA a publié deux policy briefs qui revenaient sur cette question de la limitation des allocations de chômage dans le temps (1) en se posant la question de savoir si c’est une mesure efficace dans l’absolu et (2) en s’attardant sur les conséquences sur les finances des CPAS. 

  1. Une mesure efficace ? 

Pour la FGTB, cette réforme qui, sur le papier, viserait tant à faire des économies qu’à rediriger les personnes vers l’emploi ne saurait remplir ses objectifs puisque la Belgique, en 2023, comptait environ 520.000 demandeurs d’emploi alors que Statbel (l’institut belge de statistique) recensait 184.431 emplois vacants en juin 2024. De plus, sur base de données des services régionaux de l’emploi, on aperçoit qu’une minorité d’offres d’emploi concerne des CDI temps plein. 

De même, nous indiquions que les personnes éloignées de l’emploi depuis un certain temps sont confrontées à des obstacles structurels qui ne sauraient être réduits à une responsabilité individuelle : sous-qualification, obstacle de la langue, âge, manque de formation(s), situation de handicap, structures de déplacement, situations familiales, etc. 

Enfin, nous revenions sur certaines idées et autres fantasmes : oui, les personnes au chômage sont largement contrôlées et sanctionnées ; oui il existe déjà un différentiel entre le fait de travailler et de ne pas travailler qui est de plus de 500 EUR ; non la limitation dans le temps des allocations de chômage ne produira pas forcément les économies structurelles tant vantées ; non les dépenses chômage et les chômeurs ne nous coûtent pas trop cher, ce sont mêmes parmi les dépenses les plus faibles de la sécurité sociale belge.

La première policy brief de DULBEA (disponible ici) recoupe en grande partie notre analyse et met en garde contre certains effets néfastes ou pervers de la réforme si elle n’est pas encadrée et accompagnée d’autres mesures. Dans les grandes lignes, nous pouvons relever les éléments suivants : 

  • La réforme pourrait favoriser un retour à l’emploi tout en affectant négativement la qualité de l’emploi, que ce soit en terme de salaire, de nature du contrat de travail, etc. et donc affecter la santé des travailleurs (ce qui aurait donc un impact également indirect sur les finances de la sécurité sociale car il pourrait y avoir un basculement vers d’autres pans de la sécurité sociale) ;
  • L’âge est effectivement un frein et une difficulté réelle pour les demandeurs d’emploi et il faut prendre en compte les caractéristiques propres des personnes au chômage (niveau de qualification, secteur d’activité, situation familiale, etc.) ;
  • Les risques de la logique de limitation dans le temps des allocations de chômage et l’effet sur le retour à l’emploi en cas de situation de récession économique ;
  • Cette réforme doit prendre en compte et en considération d’autres mesures structurelles permettant une réelle intégration qualitative des demandeurs d’emploi sur le marché de l’emploi comme, par exemple, faciliter la mobilité et coopération interrégionale.
  1. Impact sur les finances des CPAS

L’étude de septembre de la FGTB démontrait dans une large mesure pourquoi la limitation dans le temps des allocations de chômage ne produirait pas les économies escomptées. Une des raisons principales est l’impact de l’exclusion sur les CPAS, leur fonctionnement, leur structure, leur organisation, leur logistique et leur financement. Nous notions également que l’impact ne se ferait pas seulement sentir via une augmentation du nombre de bénéficiaire du RIS mais aussi via l’ensemble des autres coûts possibles : aide sociale, frais (médicaux, d’hospitalisation, pharmaceutiques, d’hébergement des personnes âgées, etc.). Pour illustrer notre propos, nous avions simulé un transfert « maximal » des bénéficiaire des allocations de chômage vers les communes et nous avions illustré l’impact budgétaire pour quelques grandes villes : + 15.393.920,38 EUR à Mons, + 43.982.682,73 EUR à Anvers, + 8.827.051,71 EUR à Uccle. Globalement, en extrapolant les chiffres du nombre de bénéficiaire actuels du RIS en y ajoutant le nombre de personnes au chômage susceptibles d’être prochainement exclues si les intentions de certains partis venaient à se réaliser, nous étions arrivés à un manque de d’environ 600 millions d’EUR. À l’époque, les notes en vue de former un gouvernement fédéral prévoyaient que le niveau fédéral prévoirait une enveloppe de 200 millions d’euros pour gérer cet impact … depuis la sortie de l’étude de la FGTB, les notes prévoient plus généralement une « compensation » pour les CPAS, sans parvenir à chiffrer la somme nécessaire (et en conditionnant cette augmentation aux CPAS qui montreront des résultats « positifs »). 

L’étude récemment publiée par Dulbea (disponible ici) va dans le même sens que la FGTB : la plus grande partie des personnes exclues du bénéfice des allocations de chômage après deux ans, plutôt que de retourner à l’emploi, risquent plutôt de basculer vers les CPAS ou vers l’invalidité, voire carrément de sortir des radars (comme cela avait été le cas lors de la limitation dans le temps des allocations d’insertion). Sur les un peu moins de 90.000 personnes considérées pour l’étude, un tiers (30.122) basculerait vers le RIS, plus d’un tiers (33.557) vers l’invalidité/l’incapacité de travail et moins d’un tiers (25.433) retourneraient effectivement à l’emploi. 

Si des économies seraient donc à prévoir pour le niveau fédéral, il s’agirait surtout d’un transfert purement financier où une grande partie de ce qui devait auparavant être pris en charge par le niveau fédéral devrait à l’avenir l’être au niveau local (les communes) et où il faudrait également prendre en compte l’augmentation très nette des incapacités et des invalidités. 

Comme nous l’indiquions dans notre propre étude, les économies annoncées sont donc à relativiser. Il faut d’ailleurs également ne pas seulement avoir une analyse purement chiffrée et courtermiste de cette réforme : il faut également l’envisager au niveau de l’organisation et de la qualité des services, de la capacité des différentes institutions à gérer ces changements, de l’impact sur la santé et le bien-être des travailleuses et travailleurs impactés, etc. 

Pour l’ensemble de ces raisons, la FGTB continuera de lutter contre l’adoption de cette réforme et n’aura de cesse de mettre son propre agenda sur la table : des meilleurs conditions de travail, des contrats stables, l’augmentation des salaires bruts, un rehaussement des minimas sociaux au-dessus du seuil de risque de pauvreté, une réduction aux obstacles liés à l’emploi durable, un meilleur accompagnement vers l’emploi, des offres d’emploi adaptées aux profils vulnérables, une revalorisation et une amélioration de l’allocation de garantie de revenu pour celles et ceux qui reprennent le travail à temps partiel et une responsabilisation plus grande des employeurs quant au recours aux formes d’emploi les plus précaires et flexibles.